«Sa démonstration de la supériorité intrinsèque du principe monarchique sur le principe républicain ou démocratique s'associe de ce fait à une idéalisation, que j'estime insoutenable, de l'Ancien Régime. Maurras, pour ne citer que cet exemple, ne voit pas que les corps intermédiaires ont commencé à se disloquer sous l'action de la monarchie administrative, et que cette dislocation commence avec la lutte contre le système féodal. Il affirme que la monarchie française était fondamentalement décentralisatrice, alors que c'est le contraire qui est vrai. Cette vision idéalisée de l'Ancien Régime n'a pas seulement été contredite par l'historiographie contemporaine. Elle est déjà contredite par les observations particulièrement profondes faites au XIXe siècle par Renan et surtout par Tocqueville.
Du fait de cette idéalisation de l'Ancien Régime, Maurras est évidemment conduit à exempter la monarchie française de toute responsabilité dans les événements qui ont abouti à sa perte. (...)
(...) Même sa critique du libéralisme est assez faible. Elle dérive de sa critique de Rousseau, alors que sur de nombreux points Rousseau est l'adversaire résolu du libéralisme (et un adversaire beaucoup plus conséquent que ne l'est Maurras). Mais Maurras a-t-il jamais lu de
Rousseau, auteur extraordinairement complexe, autre chose que ce qu'en a écrit Jules Lemaître ? Certes, il voit bien que le libéralisme vise à « dégager l'individu [...] de ses antécédents naturels ou historiques » pour accoucher d'une société d'egos. Il voit bien aussi le lien entre l'individualisme et le despotisme d'Etat, la massification et l'atomisme social. Mais sa critique n'ajoute pas grand chose à ce qu'un Louis Veuillot ou un Donoso Cortès, pour ne citer qu'eux, ont pu dire avant lui. Il n'aperçoit ni les fondements anthropologiques ni les fondements économiques du libéralisme. Il ne discute pas les vues d'Adam Smith, de Mandeville ou de Ricardo. Il ne voit pas que le libéralisme est une doctrine fondamentalement antidémocratique, qui ne peut que récuser la décision populaire chaque fois que celle-ci viole les présupposés individualistes qui sont les siens. Il ne s'interroge pas sur la notion de marché et le paradigme de la « main invisible». Il moque l'affirmation selon laquelle les enfants naissent «libres et égaux en droit» sans voir que la conception du droit dont se réclament les Lumières vise moins à nier qu'à corriger les inégalités de nature (l'idée étant, précisément, qu'une inégalité de nature ne saurait fonder le droit naturel). Il ne voit pas que l'absolutisme moderne prend sa source chez Jean Bodin. Sa critique de la démocratie, que je ne partage pas, est elle-même incroyablement naïve : il y a d'autres façons de réfléchir sur la souveraineté populaire qu'en la dénonçant comme simple «gouvernement du nombre».»
Entrevista com Alain de Benoist, Bulletin Charles Maurras, Abril-Setembro, 2001
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